La naissance: parcours d’une vie, 3e partie

Petite histoire d’une longue randonnée en montagne

3e partie

Le samedi 14 mai dernier, j’ai attrapé mes bottes North Face, mon bâton de marche et mon CamelBack et j’ai entrepris d’essayer de réaliser une randonnée de 17 km dans les sentiers sillonnant le parc national du Mont Orford. Et je ne saurais dire à quel point cette excursion m’aura nourrie et brassée…. Dès les premiers pas sur le sentier, mon esprit créatif a commencé à imaginer une histoire parallèle à ce que je vivais : et si cette randonnée, que j’appréhendais, que je doutais de pouvoir réussir était….. Mon expérience d’enfantement? Et si j’entrevoyais l’excursion comme le travail de l’accouchement, sans aucune intervention, sans anesthésie, avec seulement mes ressources et mon instinct? Tout au long du parcours, je me suis donc mise dans la peau, les tripes et le cœur d’une femme sur le point de donner naissance, avec des personnages, un décor, des gestes, des paroles, des émotions, de la musique et des odeurs…. Et ceci m’a complètement bouleversée! Et parce qu’un enfantement, ça dure un certain temps… je vous préviens tout de suite que ce récit sera long… très long! Êtes-vous prêt(e)s à vivre avec moi cette randonnée à l’issue magique? On se revoit au sommet!
Suite de la 2e partie : ici

Le travail actif (la suite)

S’il me paraît encore plus magnifique que l’Escalier du Nord, le Sentier des Crêtes me donne l’impression de s’annoncer un peu plus acrobatique! Et dire que quelques minutes plus tôt, l’une des femmes croisées au pic de la roche fendue me disait que ce n’était vraiment pas si terrible… Bien moi, je ne trouve pas ça évident du tout, bon! Après une petite promenade en forêt, entourée de fleurs et de jolis champignons… que des roches! Les balises du sentier sont inscrites uniquement sur celles-ci… Parce que c’est tout ce qu’il y a!!

part 3-11

Je porte attention où je mets le pied car autrement, je perds de vue les marques rouges et blanches. Je me retrouve parfois en équilibre sur une crête. Je saute de roche en roche. Il vente pas mal. Le travail n’est plus du tout le même : beaucoup moins cardio, beaucoup plus d’équilibre, de dextérité et de flexibilité. J’ai l’impression d’être à flanc de montagne et complètement exposée au vent. La forêt me manque, les arbres, les coulées. J’espère qu’incessamment, ils referont parti du décor.

part 3-10

Mon pied gauche donne le tempo au pied droit et vice-et-versa. J’évite d’être trop en mode « pilote automatique », j’ai besoin de toute ma concentration. Mon corps, bien que pas encore à court de réserves, est manifestement plus fatigué qu’au petit matin. Caracol continue de tourner en boucle dans mes oreilles…

J’ai couru et couru, couru à perdre haleine
Mais chacun des détours en valait la peine
J’ai souri, nargué ma douleur
Fait un face-à-face avec ma peur

Ça aura valu la peine
Et les doutes me frôlent à peine
Ça aura valu la peine
Comme les certitudes sont belles

Depuis que j’ai quitté le premier pic, je croise à l’occasion d’autres marcheurs et marcheuses. Et ça m’agace. J’ai l’impression de sortir de ma méditation, de ne plus faire qu’un avec la nature. Ils parlent du quotidien, ils sentent le parfum, ils m’étourdissent. Je les salue furtivement sans croiser leur regard.
Sans crier gare, le pic de l’ours se dévoile devant moi! Des rochers, des rochers et encore des rochers!

part 3-9

J’aperçois au loin le sommet d’Orford. Je ne peux concevoir qu’il existe bien un chemin à travers les kilomètres d’arbres qui me séparent de ma destination. Le mont semble si loin!!

part 3-7

Je fais une pause, le temps de dîner. Il y a beaucoup de randonneurs au sommet de ce pic, également arrêtés le temps de se ravitailler. Encore une fois, les conversations me dérangent. Je voudrais être seule sur mon gros caillou et restée plongée dans mes pensées.

Une fois terminé le plein d’énergie (je mange à peine… j’ai surtout soif… et même si mon repas est très léger, chaque bouchée est ultra rassasiante), je réenfile mes bottes, attrape mon sac et mon bâton et me remets en route. Je me demande bien quelle heure il peut être… il me semble que le trajet a été relativement court entre les deux pics… Je risque un regard sur mon cellulaire : midi pile. Je suis ni rassurée, ni découragée. Comme si le temps n’avait plus d’importance. D’une manière ou d’une autre, rebrousser chemin serait aussi long que de continuer. Et ce qui m’attend au bout du trajet est beaucoup plus excitant! Comme me le répéterait ma Doula : Chaque montée, chaque racine enjambée, chaque pierre glissante rencontrée jusqu’à maintenant est chose du passé! Continue, un pas à la fois!

Alors je marche! Je ressens une sorte de deuxième souffle. Mon corps est beaucoup plus accoutumé au mouvement. Ma respiration est plus constante. C’est comme si mon corps avait repris là où il avait laissé, avant la pause dîner. Les chansons s’alternent maintenant dans mes oreilles et la trame passe d’un style à un autre. Cela m’encourage, me change les idées et me permet de me déconnecter de l’effort intense et du dérangement que je ressens en croisant des randonneurs. Cette partie du trajet est beaucoup moins claire dans ma tête. Je suis en mode « pilote automatique». Je constate seulement que le sentier est magnifiquement éclairé par les rayons du soleil et que la végétation est plus luxuriante que lors de la première partie de mon parcours.

part 3-6

Ça sent la vie à plein nez! Mon visage est complètement détendu et ne réussis qu’à arborer un léger sourire que j’essaie également d’installer au coin de mes yeux, comme j’aime à le mentionner à mes élèves de Yoga! Plus j’avance, et plus je sens que mon corps est mollasson. Je grimpe, je contourne, j’enjambe. Le sentier est parfois étroit, en pente douce, mal défini et exposé au chaud soleil, parfois jonché de pierres déposées pêle-mêle, parfois un long escalier apique. Chaque fois que je pense être davantage en « zone connue », la nature me ramène à l’ordre! Grande leçon de ne rien prendre pour acquis, grande leçon de vivre chaque instant, un seul à la fois.

Je me sens toujours accompagnée par ma horde de veilleurs et de veilleuses, de gardiens de l’espace, mais c’est plus flou. Ils se cachent quelque part au creux de ma tête, au fond de mon cœur. Je sens mes battements cardiaques dans le bout de mes doigts et au niveau de mes tempes. Mon corps avance tout seul, je me sens pratiquement hypnotisée. Les gens que je croise ne me dérangent plus, je les contourne, point. Je suis investie d’une mission : me rendre au sommet!

La transition – ou la phase de désespérance

J’arrive à un petit muret de pierre très étroit, apique et glissant. Encore une fois, je doute de mes capacités (quelle mauvaise habitude… vraiment!!). Les femmes devant moi le traversent comme si de rien était. La fatigue me fait pratiquement trembler des jambes. J’essaie de m’inspirer de leur confiance, de leur agilité, en gardant en tête que je ne suis pas elles et qu’elles ne sont pas moi, et que j’irai donc à mon propre rythme! Un pas à la fois : c’est vraiment devenu mon leitmotiv!

part 3-3
Je suis pratiquement en transe. Mon corps n’a jamais vécu un tel degré d’intensité. Au cours des heures qui suivent, le temps devient une notion complètement abstraite. Le sentier est sans fin, mais je garde mes repères, mon calme et ma concentration. À un certain moment, je trouve le sentier vraiment étroit et mal défini. Je me grafigne les jambes sur les branches encore nues en ce mois de mai et j’ai besoin de mes deux bras et de mon bâton pour me frayer un chemin. Je lève les yeux : aucune trace de rubans ou autres balises. Je suis clairement sortie du sentier. Étrangement, je m’en fou complètement. Tous les chemins mènent à Rome, qu’ils disent! Mon instinct me dit de continuer, que je vais bien rejoindre le sentier principal un de ces quatre… et qu’au pire…. Quoi, au fait? Je sais, j’ai la tête dure et je suis seule au milieu de nulle part. Mais j’ai drôlement envie de suivre MON chemin et d’avancer, encore et toujours! Dans ma tête, mes accompagnants s’embrouillent : mon homme préférerait que je fasse demi-tour et retrouve le bon sentier. Ma mère se détourne. Ma cousine est encore plutôt zen et veut s’assurer que je sais ce que je fais. Et ma Doula, comme toujours, sourit :
« Tu es bien sur ce sentier? Tu te sens à ta place? Alors continue! Je ne serai pas loin derrière! »
Au bout de quelques minutes de tâtonnements, le sentier principal surgit de nulle part, ainsi que d’autres randonneurs (grrrrrrrrrrrrr…).

part 3-2

Et ma route se pousuit. Mes pensées fuient. J’ai de la musique plein les oreilles, le corps en compote. J’ignore j’en ai pour combien de temps, mais j’ai l’impression de pratiquement devenir folle tellement le sommet de Orford ne semble JAMAIS se rapprocher!!

part 3-1

Je suis impatiente, j’en ai assez, je ne veux plus jouer!! C’est assez, j’ai atteint MA limite!!! Qu’on m’apporte une PÉRIDURALE!!! Bon… je pense que je suis un peu trop dans ma tête… j’ai peut-être eu une insolation? Et comme rien ne va plus, que je suis sur le point de capituler, je l’aperçois enfin…

part 3

Je suis à la base du sommet de Orford. Au pied du large sentier dénudé qui mène au belvédère où je profiterai enfin du fruit de tout mon labeur : une vue splendide et un sentiment d’accomplissement incomporable. Alors que quelques minutes plus tôt, je m’avouais vaincue, voir cette affiche fait monter un incroyable flot d’adrénaline le long de ma colonne vertébrale. Alors que je pourrais tranquillement arpenter les 1,8km de faible dénivelé qui me ramèneraient à ma voiture en quelques minutes, je me dirige (moi-même surprise), vers le sentier pratiquement vertical (je n’exagère vraiment pas tant que ça!!) ondulant jusqu’au sommet.

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