La naissance: parcours d’une vie, 2e partie

Petite histoire d’une longue randonnée en montagne

2e  partie

Le samedi 14 mai dernier, j’ai attrapé mes bottes North Face, mon bâton de marche et mon CamelBack et j’ai entrepris d’essayer de réaliser une randonnée de 17 km dans les sentiers sillonnant le parc national du Mont Orford. Et je ne saurais dire à quel point cette excursion m’aura nourrie et brassée…. Dès les premiers pas sur le sentier, mon esprit créatif a commencé à imaginer une histoire parallèle à ce que je vivais : et si cette randonnée, que j’appréhendais, que je doutais de pouvoir réussir était….. Mon expérience d’enfantement? Et si j’entrevoyais l’excursion comme le travail de l’accouchement, sans aucune intervention, sans anesthésie, avec seulement mes ressources et mon instinct? Tout au long du parcours, je me suis donc mise dans la peau, les tripes et le cœur d’une femme sur le point de donner naissance, avec des personnages, un décor, des gestes, des paroles, des émotions, de la musique et des odeurs…. Et ceci m’a complètement bouleversée! Et parce qu’un enfantement, ça dure un certain temps… je vous préviens tout de suite que ce récit sera long… très long! Êtes-vous prêt(e)s à vivre avec moi cette randonnée à l’issue magique? On se revoit au sommet!

Suite de La 1ère partie : ici

Le début du travail actif

Il est je ne sais trop quelle heure (j’évite de regarder mon cell… car si cela peut m’encourager, je sais très bien que ça peut également faire complètement le contraire!) alors disons simplement qu’un certain temps s’est écoulé, comme dirait sans doute ma Doula. J’arrive à une autre intersection. C’est la route verte. Je suis donc tout près du début de l’Escalier du Nord qui me mènera au premier sommet : le Pic de la Roche fendue! Le vrai trip va bientôt commencer!

Ça y est! J’aperçois le début du sentier! La vraie montée commence! Je suis sur un rush d’endorphines et de plein d’autres bonnes hormones. Mon corps est bien réchauffé. Je regarde le petit sentier : étroit, escarpé, jonché de racines et de pierres. Encore 13 km devant moi!

Vais-je y arriver?

Mon homme : Hey… ça commence, veux-tu ben ne pas te décourager tout de suite et y aller! Ça va super bien! Ahh boy les cuisses! T’es capable!

La couz : Envoye la couz! On part! Je vais te suivre pour pas que tu aies la vue sur mes fesses tout le long! Ahahah! Tu me le dis là si ça ne va pas, hein?

Ma mère : Vas-y ma belle puce, je suis tellement fière de toi! T’es capable!!

Et ma Doula me sourit : C’est pour ça que tu es ici, non? Allez, ton corps saura exactement quoi faire, fais-toi confiance!

Alors… j’avance!

Je jette un œil rapidement sur ma gauche : des montagnes… et le soleil! C’est tout simplement magnifique! Le sentier est complètement sec, et je suis toujours SEULE! God que je suis contente qu’il n’y ait personne! Je vis quelque chose d’archi personnel, irais-je jusqu’à dire… de méditatif? Spirituel!? C’est MA progression, MA montagne! J’aperçois des petites fleurs jaunes partout, des pousses, des têtes de violon, et des bébés feuilles d’un vert si tendre dans les arbres. Ça sent les conifères, l’humidité, la boue… Et j’adore ça! J’entends un peu moins les oiseaux… je mettrai sans doute un peu de musique bien vite. Le polar a pris le bord depuis un moment déjà. J’ai un peu chaud, mais rien de bien terrible et je ne sens pas le soleil sur ma peau.

Le dénivelé n’a rien à voir avec celui des sentiers de ski de fond. Je dois me concentrer davantage sur l’endroit où je pose le pied et porter davantage l’attention sur ma respiration et la façon dont je bouge.

Mon rythme respiratoire s’accélère. Mes muscles tentent de s’habituer tranquillement aux nouveaux moments que je leur impose et provoqués par le sentier accidenté. Je n’ai jamais eu un très bon cardio, mais des muscles lents à se fatiguer. Je souhaite que le premier trouve que c’est un bon moment pour s’améliorer et que les seconds ne me lâcheront pas. Je sais qu’à cette étape, je dois ralentir mon rythme respiratoire. Me concentrer et approfondir ma respiration. Autrement, j’alimente moins bien mes muscles et mes organes. Le travail devient plus difficile, je m’essouffle plus rapidement, et je finis par m’épuiser. Je me rappelle mes pratiques de Yoga. Je porte attention à chaque partie de mon corps. Je me rends compte que je crispe le visage et les mains, ce qui est totalement inutile et me fait dépenser de l’énergie inutilement. Je pose plutôt un sourire sur mes yeux et au coin de mes lèvres, comme le répétait Sylvie, ma prof de Yoga. Je relâche les mains et les épaules…. Ouais… mes épaules… me connaissant, je vais avoir davantage les trapèzes, les deltoïdes et les rhomboïdes en compote que les jambes, car j’ai tendance à garder cette zone ultra crispée lorsque je fais du vélo, de la randonnée, du jogging…

Je veux profiter du moment présent. Mes sens sont décuplés. Tout autour m’émerveille, je dirais même que le décor m’émeut. Le printemps en pleine éclosion : les parfums, les bourgeons, les coulées… J’ai cette chanson qui me tourne dans la tête :

Le monde est d’une sombre beauté

D’une beauté terrible

D’une beauté à fendre l’âme

Mais il faut vivre

Le monde est d’une beauté terrible

D’une beauté à fendre l’âme

Gardons l’envie de vivre

Je décide d’emplir mes oreilles de ces paroles et j’installe mes écouteurs. Je continue à monter.

Je me demande ce que diraient/feraient mon homme, ma Doula, ma cousine et ma mère à ce moment… Sans doute que mon chum me rassurerait de sa voix basse, assurée et si douce. Ma mère tiendrait ma main, flatterait mon dos. Ma cousine ferait les cent pas pour s’assurer que je ne manque de rien. Et ma Doula, elle me masserait… et sourirait!

Je gravis les marches d’escaliers taillées à même d’énormes pierres. Ces escaliers me rassurent, car ils me confirment que je suis sur le bon chemin, que je progresse!

J’arrive devant un grand mur de roc recouvert de mousse. Le soleil plombe et fait briller les gouttelettes d’eau qui s’en détachent. J’ai envie d’enfouir ma main dedans! C’est frais, moelleux, si vivant! Un autre assaut d’émotion…

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Je regarde le sentier sur ma gauche… de la neige!! Misère… je passe sous un gros arbre déraciné. Je chante à tue-tête : Le monde est d’une rare beauté, d’une beauté terrible! Dieu merci, personne ne m’entend… Bah… je m’en moque!

Premier véritable obstacle : une affiche annonce que le sentier est fermé! Eeeeh… Ok… je suis sensée faire quoi? La pente est vraiment abrupte, il n’y a aucun autre chemin pour continuer à grimper… Mes deux seules options : rebrousser chemin (pas question) ou continuer à grimper!

Mon homme : T’es sûre qu’il n’y a pas un autre sentier? Ils ne l’auraient pas fermé sans raison, c’est pas une bonne idée de passer par là! On va le contourner! Et au pire, je passe devant et je t’aide à monter!

Ma cousine : Allez la couz, ça va être drôle! Donne-toi un élan, t’es capable! Mais tiens-toi bien là OK?

Ma mère : Mmmm, non, mauvaise idée. Tu peux tomber et te faire mal. Cherche un autre sentier. Ou vire de bord! Tu ne vas pas risquer de te blesser quand même?

Ma Doula, elle sourit : Il n’y a pas d’autres chemins, en tout cas, pas d’autres qui soient plus facile, sauf peut-être abandonner. Es-tu rendue là? Regarde ce que tu as déjà fait! Tu es plus riche de cette expérience! Mais je vais te suivre peu importe ta décision!

Moi : Bon, Ok, advienne que pourra : on y va!

C’est glissant, vaseux et à-pic. Mes pas ne sont pas assurés, mais je reste la plus concentrée possible. Je passe sous la corde, encore quelques pas…. Et je glisse! Je me salis un peu et m’érafle le poignet… rien de bien terrible. Je respire plus calmement. Je lève le regard et j’aperçois la suite du sentier, plus sec et à plat. Un dernier petit effort et j’y suis! Ouf! Ça, ce n’était pas facile!

J’entends des « Bravos! » et des « Yeah! », mais j’entrevois aussi quelques regards inquiets. Ma Doula me regarde toujours avec ses mêmes yeux qui sourient, mon homme me tend la main, toujours aussi galant, ma cousine rit doucement et ma mère recommence à respirer!

Je continue à grimper. Caracol chante toujours dans mes oreilles. Il commence à y avoir du moustique! C’est vraiment agaçant. Je suis moins dans ma bulle et j’accélère le pas. Je porte moins attention à ce que je trouvais si magnifique et remarque davantage ce qui me fatigue : la chaleur, les moustiques, le sol plus vaseux, la distance entre deux escaliers escarpés qui diminue de plus en plus. De mémoire, le premier sommet n’est plus très loin… mais comment en être certaine? Alors, je marche.

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Le paysage change tranquillement. La brise se lève. Les immenses arbres dénudés cèdent le pas à des petits sapins rabougris, de la mousse, des rochers. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est. Il pourrait être 10h30 aussi bien que midi, je n’ai aucune notion du temps. Je résiste à l’envie de regarder ma montre. Je pense au moment où j’atteindrai le sommet du Mont Orford, le point culminant de mon escapade! Mon Dieu… dans quel état seront mes genoux, mon dos, mes chevilles? Mais pour l’instant, bien que l’intensité ait toujours crescendo, ça va. Je vis l’instant présent et ne porte attention qu’à mes pas. Je regarde mes pieds et le sentier. Point.

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Puis, je lève les yeux et aperçois une femme à quelques mètres devant moi. Elle semble seule, elle aussi. Étrange sensation que celle de ne plus être seule au monde! Ça m’agace un peu… Nous nous rapprochons l’une de l’autre. Elle marche d’un pas plus assuré que le mien. Ce sentier (ou d’autres semblables), elle l’a arpenté beaucoup plus souvent que moi, ça se voit. Ou alors, son assurance est simplement plus ancrée que la mienne. Nous arrivons à la même hauteur l’une de l’autre. Notre regard à toutes deux quittent nos pieds respectifs pour se croiser. Et la dame me fait le plus beau sourire du monde. Je ne sais pas pourquoi, mais même au moment de rédiger ces lignes, ce sourire me touche encore profondément. C’est l’une de ces femmes pour qui l’âge est impossible à estimer… vous savez? Ses cheveux sont entièrement blancs, elle a un beau teint, des pommettes encore saillantes et est certainement en grande forme. En un rien de temps, nos regards se quittent et sans plus de cérémonie, nous poursuivons notre chemin. Je ressens alors de la tristesse. J’aurais eu envie de lui parler, de lui demander : Il est comment le chemin, d’où vous venez? Combien de temps il me reste avant d’atteindre le premier sommet? Mais l’instant d’un bref coup d’œil derrière mon épaule, je vois son sac à dos et sa tignasse blanche disparaître derrière les buissons. Alors, je reprends la cadence. Et à ce moment, je décide que cette femme est une sage-femme. J’en suis convaincue. Son regard, son sourire, son silence plein de mots. Je sais, c’est n’importe quoi. Elle pourrait aussi bien être enseignante, comptable ou dentiste. Mais je décide tout de même de lui attribuer cette vocation. Et tiens, c’est là que je réalise que dans ma folle aventure de randonnée/accouchement, je n’ai pas de sage-femme à mes côtés!! Une Doula, mon homme, deux femmes qui me sont chères… mais pas de sage-femme! Étrange! Et à présent, est-ce que je souhaiterais ajouter une actrice supplémentaire? Quel visage me vient à l’esprit? Et je me rends compte que non, ma petite troupe me suffit! Bien que le passage de cette femme, si furtif fut-il, eu néanmoins laissé une marque très claire et représentative. Je me promets d’y réfléchir plus longuement une fois de retour « sur le plancher des vaches ».

À peine quelques instants plus tard, je l’aperçois. Je suis arrivée au pic de la roche fendue! Premier sommet atteint!

Le temps est tout à coup plus sombre et le vent me malmène, mais je parviens tout de même à profiter de la vue, bien emmitouflée dans mon polar. J’apprivoise la surface rocheuse sur laquelle j’ai atterri. Je regarde tout en bas des falaises escarpées. Ouf! Allô vertige! Mieux vaudrait garder l’œil sur l’horizon! C’est magnifique! Je suis en sueur, mon visage me donne l’impression d’être en ébullition! Je reçois les félicitations de mon homme, de ma cousine et de ma mère. Ma Doula, elle, continue de sourire! Je m’arrête le temps de profiter d’un plein d’eau fraîche et d’une collation. J’admire la vue.

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J’essaie d’apercevoir mon prochain arrêt, le pic de l’ours, mais je n’arrive pas à décerner où il peut se trouver. Et je réalise qu’à partir de maintenant, je serai en terrain totalement inconnu. Je ne me suis jamais rendue aussi loin. Une image me vient en tête : celle d’une femme qui aurait enfanté une première fois sous péridurale ou par césarienne. Jusqu’à l’embranchement menant à l’un ou l’autre de ces dénouements, le chemin pouvait encore être un terrain relativement connu. Mais à partir d’une certaine étape, propre elle aussi à chaque expérience, la suite est complètement à découvrir et à apprivoiser. Plus de repères qui jalonnent  le passage. De la nouveauté mur à mur! Et c’est dans cet état d’esprit que je pose le pied sur une terre que mes pas n’ont jamais foulée. Toute ma troupe m’accompagne, indéfectibles supportaires. Bien que je ne sache pas ce qui m’attend, je suis plus riche de tout le parcours effectué jusqu’à présent et je sais que cela me servira. Ma Doula approuve et ajoute : Les kilomètres que tu as parcouru, ils sont derrière toi. Les roches et les racines que tu as enjambées, elles ne peuvent plus te défier. Continue à aborder les montées et les obstacles un à un, en te répétant qu’une fois franchis, ils ne reviendront pas.

Parce que deux femmes croisées au sommet me le demandent, je leur donne l’heure. Il est 10h45. Deux heures depuis le commencement. Est-ce OK? Est-ce trop rapide, trop lent? Je n’en ai aucune idée et je m’en moque. Je fais simplement connaissance avec mon nouveau sentier.

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