La naissance: parcours d’une vie, 1ère partie

Petite histoire d’une longue randonnée en montagne

1ère partie

Le samedi 14 mai dernier, j’ai attrapé mes bottes North Face, mon bâton de marche et mon CamelBack et j’ai entrepris d’essayer de réaliser une randonnée de 17 km dans les sentiers sillonnant le parc national du Mont Orford. Habituellement, je fais des randos d’environ 4, max 6km avec mon partenaire de vie. Cette fois-ci, j’y allais sans lui et aucune amie n’était dispo pour m’accompagner. D’abord un peu déçue de canceller ma ride, je me suis dit : et pourquoi ne pas la faire… seule? C’est donc ce que j’ai fait! Et je ne saurais dire à quel point cette excursion m’aura nourrie et brassée…. Deux jours plus tard, j’en ai encore des frissons (et le corps meurtri!). Dès les premiers pas sur le sentier, mon esprit créatif a commencé à imaginer une histoire parallèle à ce que je vivais : et si cette randonnée, que j’appréhendais, que je doutais de pouvoir réussir était….. Une expérience d’enfantement? Et si j’entrevoyais l’excursion comme le travail de l’accouchement, sans aucune intervention, sans anesthésie, avec seulement mes ressources et mon instinct? Tout au long du parcours, je me suis donc mise dans la peau, les tripes et le cœur d’une femme sur le point de donner naissance, avec des personnages, un décor, des gestes, des paroles, des émotions, de la musique et des odeurs…. Et ceci m’a complètement bouleversée! Mon seul regret, c’est de ne pas avoir eu d’enregistreuse à ce moment pour capter les mots que mon esprit créait à partir de mon ressenti, car j’ai bien peur qu’il m’en manquera des bouts! Mais tout de même, je pense que l’essentiel y sera… Et parce qu’un enfantement, ça dure un certain temps… je vous préviens tout de suite que ce récit sera long… très long! Êtes-vous prêt(e)s à vivre avec moi cette randonnée d’une vie? On se revoit au sommet!

C’est aujourd’hui que ça se passe!

Samedi matin, 6h00. Les chauds rayons du soleil me réveillent de même que le chant des oiseaux. Je quitte à contrecœur la chaleur des draps et les bras de mon homme pour me préparer pour cette grande journée : c’est aujourd’hui que ça se passe, je vais réaliser le plus long et difficile parcours de randonnée de ma vie… complètement seule! J’ai déjà une idée de ce que ça sera, mais très vague, car sur les 17 km, je n’en ai déjà parcouru que 4 ou 6 avec mon amoureux. Aujourd’hui, je ne peux compter que sur moi-même. J’apporte ce qui selon moi me sera nécessaire : bottes, bâton, eau, cellulaire et écouteurs, vêtements confo, petite serviette, nourriture soutenante et digeste… et c’est tout. Pas de fla-fla, pas de  « d’un coup des fois que ça tourne mal et que tu t’érafles, te perds, te blesses… ». Seulement de quoi me soutenir et répondre à mes besoins. Point.

Je grimpe dans le CRV. Dernier coup d’œil sur la banquette arrière : Tout y est. Un bon smoothie maison dans les mains, j’embraie en marche arrière! Ça y est, c’est aujourd’hui que ça se passe! Le temps est magnifique, je suis hyper fébrile, heureuse, comblée.

kate9

8h30 : J’arrive à la station de ski. Flûte, il y a foule. Du monde partout qui parle, qui rit, qui se prépare à monter eux aussi… Je suis un peu déçue, j’avais envie de vivre cela seule… MA randonnée, MA montagne! Contrairement à mon habitude, je suis hyper introvertie et mon regard est tourné vers l’intérieur. Je n’ai pas envie de sociabiliser!

Je me rends à l’accueil car j’ai un urgent besoin de vider ma vessie! Malheureusement pour moi, c’est verrouillé! On repassera pour ce qui est de répondre à ce besoin primaire, du moins pour l’instant! Je regarde devant moi : la montagne! Elle me semble si haute et il y a de la neige au sommet. Avec mes leggings mi-jambe et ma camisole, vais-je avoir froid? Bon, advienne que pourra… j’enfile ma veste en polar et je décolle. Mais… je me rends compte que je n’ai aucune idée d’où débute le sentier! Suis-je au bon endroit? Vais-je emprunter le bon sentier? Est-ce que je le saurai si c’est bien le bon?

Petite voix dans ma tête : T’inquiète, tu le sauras quand ce sera le bon!

Je m’essaie et emprunte un premier sentier. Rapidement, mon instinct me dit que ça ne colle pas. Il devrait être encore plus à ma droite… Je traverse un stationnement… Ah! Voilà! Sentier no.7. C’est le bon! C’est un départ!

Une douce latence

8h45 : Le sentier est large, plat et recouvert de gazon. Mon cœur bat la chamade! Pas par l’effort physique (j’espère…. Je commence!!), mais parce que je suis donc bien contente! Je vais enfin tenter de réussir une expérience unique à ce jour pour moi, bien que sans doute déjà réalisée par des centaines et des milliers de personnes… Y en a-t’il qui ont abandonné en chemin? Est-ce que je vois ça trop important pour finalement pas grand-chose? Est-ce risqué ou au contraire, de la p’tite bière? Je n’en ai aucune idée… mais je sais que si je vais jusqu’au bout, je serai drôlement fière!

Je marche d’un pas assuré. Les rayons du soleil ne se font pas encore tellement sentir. La brise est agréable. Je boude mon cell et sa musique. Je préfère le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles. Les petites montées vallonnées réveillent mes muscles. Je me sens bien.

Quelques minutes plus tard, je décide de retirer mon polar. Le mercure commence à grimper! Je me rends compte que le bec de mon CamelBak fuit légèrement, alors je l’oriente juste au-dessus de mon épaule afin qu’il dégoute dans mon décolleté!! Aaaahhhh bonheur!

Je suis dans ma tête, mais je profite pleinement du paysage. Je pense à plein de choses en même temps et je ne suis pas hyper-vigilante de l’endroit où je pose les pieds, parce qu’ils sont encore bien capables de se gérer eux-mêmes! Les vallons se font un peu plus rapprochés et abruptes, mais c’est encore plus que facile comme parcours.

À un moment, je me demande s’il se pourrait que ce sentier se sépare et donne sur une autre allée de ski de fond. Je lève les yeux : je ne vois pas de numéro sur les arbres (plus précisément, le numéro 7) … Bah… il n’est pas censé y avoir d’intersections… je ne devrais pas manquer le virage pour le sentier no.9… Je me questionne tout de même et je décide d’être un peu plus alerte! Ce serait bête de déjà perdre du temps en tout début de parcours! Mais en même temps, je sais que mes pas me mènent où il se doit… simplement de vieux réflexes, j’imagine… Et c’est à peu près à cet instant que l’idée un peu weird de plonger dans mon imagination et de visualiser l’ascension comme l’expérience d’un accouchement a commencé à s’installer… Mmmmm ça pourrait être amusant… et instructif! Qui sait, si je parvenais à faire tout le parcours, toute seule, avec mes propres moyens, peut-être que je pourrais par la suite me nourrir de cette expérience et me dire que je suis maintenant capable de tout, même d’accoucher avec ma seule capacité, ma seule puissance, mon seul instinct? Et si je réussis, aurais-je le droit d’affirmer alors que toutes les femmes de la planète ont la capacité d’enfanter, elles aussi, avec leur grande force et toute puissance absolue? Bon… je pense que le manque de sommeil encourage un peu trop mon imagination… Et pourtant… Allez… ça va être drôle! Donc, si je suis en train de donner naissance, les premiers kilomètres de pentes douces au pied de la montagne représentent sans aucun doute… la latence!

Je regarde le sommet encore enneigé de Orford derrière moi, à ma gauche et me dit : ouin… j’y vais peut-être un peu fort pour une première grosse rando… Ça a l’air haut, ça a l’air long, et je n’ai jamais rien fait de tel. Je suis de nature plutôt résistante, davantage endurante qu’explosive, certes, mais j’ai aussi des genoux capricieux, un bas de dos fragile, une articulation sacro-iliaque aussi stable qu’un château de carte et des chevilles qui versent à rien… J’aurai l’air de quoi après 5 kilomètres? 10? 15??

Petite voix dans ma tête : Kate, arrête de regarder le sommet, regarde plutôt le sentier devant toi. Lui, tu arrives à le marcher? Tu es bien? Ça se passe bien? Alors continue à avancer, un pas à la fois!

Et la voix… elle me sourit! Je me dis que cette voix, ce pourrait peut-être bien être ma Doula? Oui, j’aime bien l’idée d’avoir une Doula. Elle sera détachée émotionnellement, bien qu’entièrement empathique, dans la compassion, mais calme, zen et confiante. Il faudrait bien que je la personnifie un peu! Quel visage me vient donc à l’esprit? Tiens! Janie ! Contente de voir que tu marcheras avec moi!

Alors, je continue à marcher! Je croise des écureuils, des suisses et des oiseaux partout! La forêt est magnifique! Ma respiration s’accélère un peu, mon corps commence à comprendre dans quel manège il est entraîné. Il prend le rythme. Tout en marchant, je poursuis ma lubie dans ma tête et me demande : Qui d’autre m’accompagne en ce moment? De qui aurais-je besoin pour me tenir compagnie, pour m’encourager? Et que me diraient-ils, exactement? Que feraient-ils? Premier visage : celui de mon homme! Assurément, il fera partie du voyage! Il est avec moi, je le sens! Il marche à côté de moi, d’un pas assuré, un peu lourd et il me répète : Envoye, les cuisses!! Et ça me fait rire et sourire. Ça m’encourage! Je sais qu’il sera là pour m’aider lorsqu’il y aura une grosse roche à enjamber ou un passage un peu glissant. Bienvenue chéri!

Une petite bute me donne un peu plus de fil à retordre. Je « pompe » un peu plus. Mes mollets et mes cuisses me disent bonjour! Mais de l’autre côté, c’est plat et facile. Le vent est délicieux, le soleil gagne en force!

Alors… j’ai mon homme, ma Doula… Quelqu’un d’autre? Bon, mon esprit s’embrouille… Si je ne vide pas ma vessie, c’est sûr qu’elle explose. Est-ce que j’attends de croiser une toilette sèche (y en a-t’il seulement??)? Moi qui ne suis pas trop « pipi en nature », je dois abdiquer! Pas le choix! Et merde…. Puis, je me rends compte que je suis entièrement seule sur le sentier!! Toutes les personnes croisées plus tôt, où sont-elles? Et je me rappelle avoir vu un gros groupe jogger vers le sentier « la 4 km ». Je regarde autour : absolument PERSONNE! Bon, go Kate, tu n’es pas la première ni la dernière à te soulager dans le bois! Je m’enfonce donc dans les broussailles et je cherche un gros arbre pour « me cacher » je grommelle en tâtonnant dans les broussailles… et j’entends quelqu’un rire… dans ma tête!

Tiens! La couz! Tu peux bien rire toi! Tu ne pourrais pas regarder autour et me dire s’il y a quelqu’un qui arrive? Non,  mais as-tu fini de rire!!? Bon… merci!!

Il faut se le dire… C’est drôlement soulageant! Je ramasse mon bâton, repositionne mon sac et je repars avec une autre personne pour m’accompagner durant mon accouchement excursion, Jess, ma cousine adorée! Elle me fera rire, elle veillera sur moi, elle me connait par cœur!

Youpi! J’arrive à une intersection qui me semble être celle de la piste no. 9 que je dois emprunter. Ça avance bien! Je m’élance dans le sentier. Je vois une petite plaque devant mais le chiffre est trop petit pour que je puisse l’identifier. Je marche encore un peu : 6! Oups! Mauvais chemin! On vire de bord! Petite voix dans ma tête :

Tu as une carte dans ton sac, veux-tu bien y jeter un coup d’œil au lieu d’avancer à tâtons! Tu perdrais pas mal moins de temps aussi! Et dis donc : as-tu bu un peu là depuis le début? As-tu de la crème solaire?

Salut Mom! Oui, oui et oui! Je vais jeter un œil à la carte, j’ai bu et j’ai de la crème (bon… je n’en ai pas encore mis… mais j’suis en pleine forêt)… J’ai seulement loupé le croche à gauche… rien d’alarmant! Si tu es venue pour me dire que c’est dangereux, que je n’aurais pas dû partir seule, que ce n’est pas prudent et pour me transmettre ta peur, sais-tu, tu peux repartir! Mais si tu es là pour veiller sur moi, me flatter le bras quand ce sera plus difficile, me dire combien je suis belle, bonne, fine et capable, alors tu peux rester! Toi aussi, tu me connais par cœur… et on en a vécu, des moments intenses ensemble! C’est bon… je t’inclus dans le groupe! Asteure, on repart!

J’ai un bon beat, ça avance bien, je suis bien « entourée ». Tout baigne!

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *