La violence obstétricale… Seulement dans les maternités?

Réflexion et témoignage concernant la procréation médicalement assistée.

Lorsque j’ai annoncé à mon conjoint que la SMAR[1] approchait à grands pas et que je souhaitais écrire sur ce sujet, plus précisément concernant le contexte de l’infertilité, il m’a regardé d’un drôle d’air… :

«  La violence obstétricale? C’est quoi ça? Qu’est-ce que tu vas écrire qui soit en lien avec l’infertilité??? »

Et là, je me suis dit : si l’homme de ma vie ne soupçonne pas qu’il s’agisse d’une réalité et que je puisse me questionner non seulement sur son existence dans les maternités, mais également dans les cliniques de fertilité, qu’en était-il de tous ceux et celles qui n’ont pas pour conjointe une accompagnante à la naissance marquée par des années de PMA[2]? C’est à ce moment que j’ai réalisé ceci : cette réalité passe sous silence.

Les quelques lignes qui suivent auraient pu être ponctuées de témoignages de femmes que j’ai côtoyées au cours des dernières années ou de paroles entendues de la bouche de praticiens dans les cliniques de fertilité ou lors des naissances auxquelles j’ai pu assister, mais j’ai choisi de ne parler que de ma propre histoire, craignant que ces mots rapportés ne soient perçus que comme de vagues anecdotes plutôt que de faits avérés. Par contre, je les invite, ainsi que toute autre femme qui se questionne sur son ressenti suite à une expérience semblable (en clinique de fertilité, durant la grossesse ou au moment de l’accouchement)  à commenter et surtout,  à dénoncer (outils et ressources disponibles à la toute fin).

Bref retour dans le temps…

Je dois vous dire que d’écrire sur ce sujet n’est pas chose facile… En effet, pour me replonger dans ce passé plutôt tortueux, je me suis dit qu’il serait pertinent de faire la lecture du « journal » qui me servait de thérapie alors que nous franchissions, une à une, les étapes de notre parcours du combattant en clinique de fertilité. Pas facile de relire ces lignes, que j’ai moi-même écrites, il y a une éternité de cela. Prises hors contexte, elles vous sembleront probablement anodines. Mais lorsque j’y repense, justement, au contexte (longs soupirs, yeux roulés au ciel, manque ou absence d’empathie, pas prise aux sérieux/rigolades…), une boule se noue dans ma gorge.

Pour ne vous détailler qu’un exemple de situation qui, encore aujourd’hui, réussit à me troubler, j’aimerais vous parler de la première nuit (de ma vie!) passée à l’hôpital, alors que je venais de faire une crise de douleur abdominale absolument épouvantable. Aux alentours de 3 heures du matin, 3 résidentes sont entrées dans ma chambre, alors que j’avais enfin réussi à fermer l’œil. J’étais complètement dans les vapes, à cause de la morphine. Elles ont allumé les lumières et l’une d’entre elle m’a dit qu’elle me ferait un toucher vaginal (pourquoi? Je n’en sais trop rien… je n’avais enfin plus de douleur, il était trois heures du matin, j’essayais de récupérer… et j’avais déjà eu mon lot de taponnage dans cette zone-là au cours des dernières semaines et surtout des derniers jours!!). J’appréhende la palpation, je sens le contacte du doigt ganté contre mon ovaire (que je sais en détresse à cause d’une torsion que l’on se refuse à envisager…) et je grimace. Après le toucher, la résidente m’annonce que j’ai probablement la chlamydia….!!!

Ben oui toi, c’était justement dans mon top trois des origines plausibles à mon mal… Ça et un Alien en train de pousser dans mon foie!

Je suis découragée… On me laisse comme ça, avec ce pseudo-diagnostic, les lumières sont refermées, et j’essaie de me rendormir… Cette seule petite intervention insignifiante pour plusieurs fut pour moi suffisamment significative pour peser lourd dans la balance de mon changement de carrière et de ma détermination à aider les femmes à faire des choix éclairés, certes, mais surtout à se faire respecter, considérer, écouter. Dans ce petit geste banal comme un nettoyage de dents chez le dentiste, j’avais vécu suffisamment pour être en mesure de me mettre à la place des femmes sur le point d’accoucher qui subissaient des TV à répétition, qui répétaient que tout allait bien alors que l’on voulait les convaincre du contraire, ou que quelque chose n’allait pas et que l’on ne les écoutait pas. Il était trois heures du matin, j’étais seule, j’avais peur, je ne connaissais pas ces trois femmes, j’étais complètement droguée par la morphine et il n’y avait absolument aucune raison pour qu’un TV soit fait à ce moment… Et que dire du diagnostic d’infection à chlamydia sorti de nulle part, par un seul TV?? Comment étais-je sensée gérer la situation? Comment ces spécialistes allaient-ils pouvoir m’aider si personne ne m’écoutait, ne me croyait, ne s’attardait à ce que je ressentais? La réponse : il m’aura fallu attendre du vendredi 9 mars au dimanche soir 11 mars 2012 avant de subir une laparoscopie qui révéla un ovaire droit bleuté…. Et « l’évidence d’une torsion ovarienne composée de deux tours »… La torsion ovarienne étant une urgence médicale qui se doit d’être traitée dans un délai de 6 heures…

Des moments où je me suis sentie minuscule, à la merci des grands spécialistes, croyant dur comme fer qu’ils tenaient notre destinée de parents-en-devenir entre leurs mains et qu’il fallait les écouter, obéir, subir… j’en ai vécu des tonnes… Il me faudrait des heures encore pour tous les mettre par écrit. En voici tout de même quelques-uns, pris au vol dans mes souvenirs…

Médecin de la clinique de fertilité : « On n’a pas fait ses devoirs, ma petite madame? Sans ces résultats, je pourrais aussi bien décider de vous retourner chez vous, sans faire l’insémination…!!!? »

Par ces quelques phrases, dites sur un ton condescendant, je me suis sentie diminuée, infantilisée, pratiquement menacée (à noter que les dits résultats d’examen devaient avoir été envoyés par un centre hospitalier il y avait déjà plusieurs semaines… je n’y étais pour rien! Mais en termes de bourde administrative, cette anecdote n’est que la pointe de l’iceberg…). Qu’étais-je supposée répondre? « Aaahhh non s’il-vous-plaît gentil, gentil Docteur! Je vous jure que ce n’est pas de ma faute! S’il-vous-plaît, dîtes-moi que nous n’avons pas perdu une demi-journée de salaire, que nous n’avons pas fait 2h30 de route et patienté avant que ce soit notre tour pour rien??? » Bien sûr, j’ai joué la misérable éplorée, complètement découragée et dépendante que j’étais, et non sans soupirs,  j’ai finalement eu droit à l’insémination!

Et encore, la fois d’après, ces paroles dévastatrices de la part d’une infirmière :

Moi : « Si je comprends bien, comme l’hôpital ne vous a pas transmis mon bilan sanguin et les résultats d’examen, il se pourrait que les pailles de spermes décongelées soient bonnes à jeter??? »

L’infirmière : « Ben oui… c’est bien malheureux! »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces pailles contenaient le sperme congelé de mon conjoint, préservés avant le début de ses traitements de chimiothérapie. Bref, elles représentaient, bien qu’infime, notre seule chance de parvenir à concevoir un petit bébé dont mon conjoint serait le père biologique. Nous dire que quelques-unes d’entre elles seraient inutilisées, gaspillées, alors que j’étais prête pour cette énième insémination fut tout simplement la goutte de trop. J’ai porté plainte quelque temps après… nous n’avons plus jamais revu l’infirmière en question…

Discussion avec une gynécologue spécialisée en infertilité,  quelques jours avant le diagnostic de la torsion ovarienne et alors que je suis convaincue que quelque chose ne va pas :

«  C’est normal, les maux de ventre, tu devrais prendre des Advils, ça va finir par passer… »

Échange avec une infirmière qui me voit souffrir, pliée en deux, en salle d’évaluation : « Coudonc, t’es-tu enceinte? »

Moi, noire de rage : « Aucun chance! Traitements de fertilités… j’aurai mes règles d’une journée à l’autre… test négatif.»

Infirmière : « Ouais, c’est ça, je vais te faire une prise de sang, ça sent la fausse-couche… »

Discussion de radiologistes, pendant ma première échographie endovaginale suite à mon admission pour des douleurs abdominales, un vendredi en fin de soirée:

« En tout cas merci de t’être déplacé tard comme ça… Pis toi ta semaine? Hâte au week-end?…!»

Eeee… est-ce que je dérange?

Et encore, une autre infirmière, qui s’occupe de mon admission alors que je suis de nouveau en crise aigüe (cette fois-ci, mon conjoint avait appelé l’ambulance, car j’étais en train de m’hyperventiler à cause de la peur et de la douleur) :

Infirmière : « Ouais moi aussi j’ai déjà eu ça des kystes aux ovaires qui éclatent… C’est vraiment pas agréable, mais y’a rien à faire à part attendre que le sang se résorbe!

Moi : C’est pas des kystes… C’EST… UNE… TORSION!!!!!

Infirmière : Une torsion de l’ovaire? Ben non… c’est super rare! »

Et la liste pourrait continuer encore et encore… Que ce soit lors de mon hospitalisation où au cours des trois années et demi où nous avons côtoyé les cliniques de fertilité, toujours l’impression de se sentir « garochés », de déranger, de poser trop de questions, de trop accaparer, de ressentir des hésitations qui n’ont pas lieu d’être… d’être pris en charge! Et pour conclure sur notre vécu en PMA, qui s’est terminé au printemps 2013, me laissant complètement à bout de souffle, à terre physiquement aussi bien que psychologiquement, nous avons finalement découvert, à la lumière d’un test qui ne nous avait jamais été proposé jusque-là et que nous nous sommes acharnés à exiger, que même les spermatozoïdes prélevés et congelés avant les traitements de chimio étaient déjà trop atteints par le cancer… Le pourcentage de bris dans la séquence d’ADN de chacun était tout simplement trop élevé pour espérer une grossesse viable… En bref, tout cela pour rien.

Et la violence obstétricale, dans tout ça?

Semble-t-il que le Venezuela soit le premier pays à parler de violence obstétricale, en 2007, qui est définit comme suit dans un article de loi :

« L’appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments et la conversion de processus naturels en processus pathologiques. Ceci entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et la capacité à décider en toute liberté de ce qui concerne leur propre corps et sexualité, affectant négativement leur qualité de vie.»[3]

Pour ma part, je dois dire que j’aime particulièrement la « définition maison » lu il y a quelques semaines sur le blogue « Marie accouche là » et tenu par Marie-Hélène Lahaye :

« Tout comportement, acte, omission ou abstention commis par le personnel de santé, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme enceinte ou de la parturiente. »

Et un peu plus loin dans le texte, elle écrit ceci :

« Il ne s’agit pas uniquement d’actes posés, mais aussi de l’attitude du personnel soignant, les mots déplacés qu’il utilise, le manque de respect, l’infantilisation de la femme, la violence psychologique en général. S’ajoutent l’omission et l’abstention qui visent l’absence de réaction ou d’acte face à une demande la parturiente, la négation de son ressenti, la non prise en compte de sa douleur ou de ses besoins ou souhaits particuliers. »

Ce sont ces mots qui ont commencé à raisonner en moi et à me faire douter de la totale innocence de gestes posés et surtout, de paroles tenues à mon égard ou à l’égard de femmes de ma communauté… Et quant au mot « abstention » : puis-je affirmer que l’on s’est abstenu de nous parler du test qui aurait pu, dès le départ, nous donner une base plus solide pour prendre une décision éclairée quant à la réalisation d’inséminations artificielles et de cycles de fécondation In Vitro? L’idée était-elle de commencer par me faire subir des traitements invasifs et coûteux alors que ma fertilité était A1 jusqu’à ce que nous soyons à bout de ressources et que nous découvrions par nous-mêmes l’existence de cet examen? Comment savoir…

Ce que je sais, par contre, c’est que maintenant, je n’ai plus du tout le même regard sur l’industrie, oui, l’industrie de la procréation assistée. Et que cette expérience a également modulé mon regard face à tout l’univers de l’obstétrique… Je me demande même si la question ne devrait pas se poser pour les femmes arrivant à la ménopause… Bien entendu, des infirmières, anesthésistes, médecins, sages-femmes, gynécologues absolument géniaux, j’en côtoie régulièrement. Mais le travail de ces perles peut-il suffire à étouffer les paroles et actes de certains de leurs collègues?

Et vous, avez-vous vécu ou été témoin d’une quelconque forme de violence, dans un contexte d’accouchement ou d’aide à la procréation médicalement assistée?

 

Références utiles :

Stéphanie Saint-Amant, docteure en sémiologie, chercheuse, consultante experte en périnatalité

https://stephaniestamant.com

Fédération des centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (FCAAP)

http://fcaap.ca/

Collège des médecins du Québec, formulaire de plainte

http://www.cmq.org/page/fr/formulaire-plainte.aspx

Regroupement Naissance Renaissance (RNR)

http://naissance-renaissance.qc.ca/

Groupe MAMAN

www.groupemaman.org

NASCI

http://nascibiomed.com/

[1] SMAR : Semaine mondiale de l’accouchement respecté, qui cette année aura lieu du 16 au 22 mai 2016.

[2] Procréation médicalement assistée.

[3] Maternité et inégalités : réalité indissociable mais occultée : http://bv.cdeacf.ca/CF_PDF/148615.pdf

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